Pascal Nicolas-Le Strat

Je suis actuellement maître de conférences de science politique à l’Université Montpellier 3. J’exerce à l’Université principalement par intérêt et motivation pour le travail avec les étudiants. Je suis avant tout un enseignant. Quant à mon activité de recherche, je l’exerce essentiellement hors les murs de l’institution, avec le souhait de travailler en interaction étroite avec des lieux et des personnes. Je rends visible et publique ce questionnement sur mon activité dans le cadre de mon Journal de recherche en ligne : blog.le-commun.fr/. Depuis plusieurs années, je m’intéresse aux micro-politiques des groupes et à la fabrication d’un commun.

 

Un tel questionnement théorique et politique ne peut avancer indépendamment de l’expérimentation par soi-même et avec d’autres d’un certains nombres de dispositifs, parmi eux : notre séminaire « Usage et écologie des savoirs » (www.le-seminaire.fr) qui tente de rompre avec  les rapports de hiérarchisation des savoirs ; mais aussi, depuis plusieurs années, les expérimentations des Protocoles méta (www.protocolesmeta.com), initié par Jean-Paul Thibeau à l’École supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, qui s’efforcent d’amorcer des processus hétérogènes de vie, d’activité et de création ; enfin, le projet de la c00p.org où nous tentons de concevoir des formes d’activité plus autonomes, y compris dans leur dimension économique. L’ensemble des mes travaux et publications est proposé en libre lecture sur le site www.le-commun.fr.

Projet de recherche :
Le projet « Correspondances citoyennes – Les migrations au cœur de la construction européenne » nous invite à penser et à vivre les migrations à partir de ce qu’elles construisent et expérimentent, agencent et élaborent, en premier lieu pour les personnes elles-mêmes et, plus généralement, pour l’ensemble de nos communautés de vie. Les migrations sont créatives et constituantes, source de devenirs. Le projet s’oppose bien sûr aux crispations sécuritaires et excluantes mais il évite aussi les dramatisations excessives qui réduisent à tort l’expérience de la migration aux seules souffrances qu’elle peut occasionner. Le cadre de la correspondance est un point de vue fructueux pour aborder une migration dans la mesure où le propre d’une correspondance est bien de mettre en relation, de s’adresser à… et de se préoccuper de l’autre. Le point de vue du destinataire (celui à qui s’adresse la correspondance) prend alors toute son importance puisqu’il permet de réfléchir à la façon dont une migration singulière nous interpelle et nous affecte, interpelle et affecte notre vie. La correspondance est un précieux intercesseur. La question du rapport à l’autre se trouve donc au cœur de la démarche, une démarche qui sollicite autant les citoyens, les artistes que les chercheurs en science sociale puisqu’une migration est un processus riche aux dimensions sensibles et réflexives, politiques et sociologiques, qui se vit au présent comme au futur et au passé.
Dans le cadre du projet « Correspondances citoyennes », je souhaite faire l’expérience d’une sociologie qui s’élabore en situation (d’où l’importance que je sois également en résidence) et en interaction constante avec les autres acteurs du projet. Le travail sociologique devient alors une composante à part entière du projet, à l’égal des autres. Il n’agit ni à côté, ni à distance mais de l’intérieur et par l’intérieur sur un mode à la fois critique et contributif. La sociologie devient un des langages possibles du projet – un parmi d’autres. Elle est suffisamment acclimatée et immergée pour devenir un des langages vernaculaires de l’expérience. Le projet doit pouvoir se parler sociologiquement, comme il se parle politiquement, ordinairement, corporellement, plastiquement, selon le bon vouloir de chacun. C’est cette tentative de « naturalisation » et de dé-spécialisation qui m’intéresse au plus haut point. Voilà ce qu’il en est de la démarche. Quant au contenu de mon travail, deux questions me préoccupent. L’une porte sur le projet lui-même et l’expérience commune qui peut en émerger. Qu’est-ce que nous fabriquons ensemble et qu’est ce que nous fabriquons de commun alors que nous nous rencontrons dans un cadre plutôt artificiel, au moins à son début (c’est le projet, et son financement !, qui provoque cette rencontre entre des personnes d’horizons différents, qui ne se sont pas « choisies ») ? L’autre concerne le contenu même du projet, à savoir les récits de migration restitués dans les correspondances. Quelles perspectives communes se dessinent à travers cette diversité de récit ? Quel « commun » se donne à voir et à lire dans ces trajectoires ? Qu’est-ce que ces migrations nous disent de nous-mêmes et de ce que nous aspirons à devenir ? Dans quelle mesure parvenons-nous à accéder à des questions et enjeux globaux à partir de cette multiplicité de récits singuliers et contextualisés ?
« Correspondances citoyennes » me donne l’opportunité de m’impliquer dans un processus de relative longue durée, assez hétérogène du fait de la diversité des participants et des lieux. Le processus est par ailleurs discontinu avec trois séquences successives (les résidences dans les quartiers) et plusieurs ponctuations (rencontres intermédiaires, bilans…). Et pourtant, ce processus va donner forme à un commun – un commun qui n’a aucunement vocation à niveler les situations et à gommer les différences. Cette énigme théorique et pratique me motive tout particulièrement. Par ailleurs, je trouve extrêmement intéressant que les récits de migration (ou que des récits associés à une migration) se fraient leur chemin dans le cadre d’une correspondance, à savoir dans ce moment incertain qui n’appartient déjà plus complètement à celui qui prend la parole sans qu’il soit encore véritablement approprié par celui qui la reçoit, la lit ou l’écoute. La correspondance est vraiment un espace entre deux, un espace en transition, authentiquement partagé entre celui qui s’exprime et celui qui l’écoute ou le lit – un espace, à ce titre, profondément socialisant. Le passage par la correspondance permet au récit de donner tout sa mesure, à savoir la possibilité pour quelqu’un de découvrir et de parcourir une expérience qui n’est pas la sienne mais qu’il réussira en partie à faire sienne parce que, justement, son interlocuteur lui en fait le récit.