LES MIGRATIONS AU COEUR DE LA CONSTRUCTION EUROPEENNE.
Les voix du Ponent, Tarragone.
INTRODUCTION
Ce travail de recherche fait partie d’un projet novateur, expérimental et surtout, très humain. Un véritable défi qui a réuni différentes disciplines allant de l’art au travail socioéducatif en passant par la recherche en sciences sociales. Un ensemble d’auteurs qui, dans leur domaine professionnel, ont apporté leur contribution à la création d’un projet commun. L’idée de départ : générer un discours façonné par un ensemble de matériel autour du thème des migrations dans le contexte européen, dans le but d’encourager le dialogue interculturel entre les différents citoyens d’Europe.
Ainsi donc, j’ai apporté ma collaboration au projet sur le territoire espagnol à partir d’une recherche dans les quartiers de la Zona Ponent de la ville de Tarragone (Catalogne, Espagne). Ce territoire n’a pas été choisi par hasard. Ce choix est dû à mon activité professionnelle, j’exerce le métier d’éducatrice sociale au sein de la fondation Casal l’Amic, un organisme bien installé et reconnu sur ce territoire. De plus, la zone d’action choisie partage avec les autres territoires du projet « Correspondances Citoyennes en Europe » (le quartier du Blosne en France et la ville de Cluj en Roumanie) une caractéristique commune : une histoire marquée par les processus migratoires.
Ma recherche concerne l’évolution des quartiers de la Zona Ponent comme territoire construit – et toujours en construction – par les migrations ; des migrations datant parfois d’il y a plus de cinquante ans en provenance du reste de l’État espagnol et qui jouèrent un rôle clé dans la création de cette partie de la ville. Cependant, il est vrai que ces flux migratoires ont changé de caractéristiques et sont aujourd’hui devenus des migrations en provenance d’autres pays. Évidemment, cette situation continue à déterminer et à définir le territoire. Il ne fait aucun doute que le travail ethnographique entrepris auprès de collectifs de migrants a permis une connaissance profonde de leurs stratégies quotidiennes, de leurs aspirations et même de leur imaginaire collectif. Des éléments qui nous aident à comprendre d’un point de vue global les réalités vécues par ces personnes. Le choix de cet aspect socio-scientifique constitue une des valeurs ajoutées de ce projet.
Pour mener à bien cette analyse, j’ai utilisé comme principal outil de recherche le récit de vie, des récits de personnes qui vivent dans la Zona Ponent après avoir décidé de s’y installer, pour de multiples raisons. Cela m’a permis de mener à bien une analyse qui part de la voix des habitants du quartier et qui nous permet de réfléchir aux questions sur les migrations, tout en évitant de tirer des conclusions générales définitives. Les sciences sociales permettent d’établir des analyses, sans prétendre apporter de réponses définitives ; elles sont plutôt à la recherche de tendances, d’orientations. Tout en essayant de conserver une posture objective, j’ai tenu compte de l’expérience concrète et subjective que les personnes possèdent de la société (Pujadas, 1992). Dans notre cas, il s’agit des personnes qui ont bien voulu donner leur voix, leur témoignage, pour ce projet.
En utilisant cette méthode biographique, j’ai souhaité mettre en relief les récits de migrations expliqués à la première personne, par leurs protagonistes. Les récits de vie révèlent en effet la complexité des liens qui entourent l’individu et nous montrent comment celui-ci interagit avec les structures sociales et les systèmes de valeurs (Prat, 2004).
DE TARRAGONA PONENT À L’EUROPE
La capacité de mouvement est un déterminant essentiel de l’être humain, de même que l’espace est une qualité de l’existence (Criado, 2001). Tant la capacité de mouvement que l’espace tissent la structure du monde par le biais de l’être humain. Cette mobilité intrinsèquement humaine est fondée, pourrait-on dire, sur deux sens : la mobilité accidentelle, aléatoire ; ou bien la mobilité nécessaire, stratégique. Les deux sens comportent du mouvement, une caractéristique clairement définitoire de notre société. Ainsi donc, la conception de s’en aller, de changer de lieu, est un axe de base des projets de vie, depuis toujours.
La construction de notre monde a été rendue possible grâce aux déplacements humains qui ont créé peu à peu notre histoire. Des mouvements qui ont impliqué des contacts, des échanges entre l’Humanité, et qui ont permis de définir des formes de compréhension et d’organisation de la société. Ces affirmations pourraient sembler trop philosophiques, on pourrait même y voir des clichés, mais ce sont des situations qui peuvent aider à comprendre et à apporter des outils pour analyser le fait migratoire en évitant les préjugés, souvent trop présents. La réflexion est un des moyens de contribuer à l’émergence d’un débat serein et réaliste sur les multiples questions que pose aujourd’hui cette réalité si variée. Elle aide à créer une perspective holistique qui permet d’affronter de façon positive la gestion des processus migratoires. Il faut voir la réalité en face et savoir quels sont les besoins qu’elle implique, des besoins projetés par une société vertigineusement changeante, d’une vaste complexité et qui doit relever de nombreux défis.
Les migrations se produisent et suivent leur cours dans le contexte global ; elles sont donc inséparables du moment présent, non seulement parce qu’elles se produisent aujourd’hui, ni parce qu’elles sont très nombreuses, mais parce qu’elles sont un phénomène structurant à échelle mondiale, et donc aussi européenne.
Pour comprendre le cas de la Zona Ponent de Tarragone, qui appartient à la réalité européenne, il convient d’en connaître le contexte. Ce territoire est formé par différents quartiers (Bonavista, Campclar, Torreforta, El Pilar, La Granja, Riuclar, La Floresta, L’Albada, Parc Riuclar et Icomar), créés à partir du développement industriel de la ville, surtout les secteurs pétrochimique et touristique. Cette croissance a provoqué l’arrivée de plusieurs flux migratoires en provenance de différentes régions de l’État espagnol. L’accueil de ces populations influença fortement le développement de cette zone en particulier et de la Catalogne en général. Nous parlons ici des années 1960 et 1970.
Historiquement, la formation de la Zona Ponent a été échelonnée et diversifiée. Elle a donné lieu aux différents quartiers d’aujourd’hui. Nous trouvons des immeubles construits à l’initiative des entreprises, en réponse au besoin de logement de leurs travailleurs. D’autres relèvent d’initiatives privées, promus par des entreprises immobilières. Nous rencontrons aussi le phénomène d’autoconstruction de logements. Enfin, l’initiative du gouvernement engendra la promotion de logements sociaux, concentrés dans leur majorité dans cette zone de la ville. Cette augmentation considérable de la population n’a pas été accompagnée d’une réponse efficace de la part des autorités politiques, particulièrement concernant la qualité des logements et des services. Les débuts de cette croissance furent difficiles pour les populations venues à la ville en quête de meilleures conditions de vie, car elles durent s’accommoder de carences en logement et en services publics (services sanitaires, éducatifs, de transport) ; des carences aujourd’hui comblées. Plus tard (dans les années 1990), la Zona Ponent – tout comme le reste de l’État espagnol – cessa d’être une terre uniquement d’émigration pour devenir aussi un territoire d’accueil, et l’on y enregistre une entrée lente et soutenue de populations d’origines variées : Maroc, Amérique Latine, Sénégal, Gambie et Europe de l’Est.
Nous nous trouvons donc face à un territoire construit dès le départ à partir de différents flux migratoires. Une construction stimulée par des personnes, incitée directement ou indirectement par l’industrie émergente du moment. Deux éléments sans lesquels la Zona Ponent n’existerait pas telle qu’elle est aujourd’hui. Le marché du travail a agi comme acteur principal dans la construction de la Zona Ponent, comme il l’a fait et comme il continue de le faire dans la construction de l’Europe. Plusieurs questions me viennent à l’esprit : la gestion des migrations doit-elle se faire en fonction du marché du travail ? Uniquement ? Nous verrons à présent quelle est la situation de nos jours, et en quoi l’histoire des décennies passées peut nous aider à mieux comprendre la dynamique actuelle en Europe.
La situation de cette zone est comparable, dans une certaine mesure, à d’autres zones en Europe. La description générale du panorama actuel de Boeri et Brücker (Blanco, 2006), me semble très juste quand ils affirment que l’on peut identifier deux tendances contradictoires. D’un côté, le nombre de personnes venant de pays non européens ne cesse d’augmenter, au point que l’Europe devient la première région réceptrice du monde, devant l’Amérique du Nord. De l’autre, les politiques d’immigration de presque tous les pays de l’Union Européenne sont de plus en plus restrictives. Ajoutée à d’autres facteurs, cette contradiction fait que l’immigration est devenue l’une des principales préoccupations des citoyens et des responsables politiques, qui en font un objet constant de débats et de polémiques, et bien souvent, un élément de tension sociale. Il est évident que le fait migratoire représente aujourd’hui, à l’échelle mondiale, l’un des phénomènes humains les plus importants, et qu’il est responsable (en partie) d’un changement social rapide et profond, aux conséquences économiques, politiques, démographiques et culturelles énormes.
Nous nous trouvons face à une situation difficile à gérer, plutôt labyrinthique. Joaquín Arango parle d’une situation orageuse (Blanco, 2006) pour expliquer le moment dans lequel se trouve l’Europe vis-à-vis de l’immigration. Oui, immigration, et pas migrations, car ces dernières incluraient l’émigration. Arango met l’accent sur l’immigration, car c’est ce flux, celui des personnes « venues d’ailleurs », qui cause des polémiques, l’un des sujets clés d’aujourd’hui, à l’échelle tant politique que citoyenne.
La relation qu’entretient l’Europe avec l’immigration peut être décrite comme un va-et-vient. D’un côté, on parle souvent de la nécessité de l’immigration pour couvrir les manques de certains pays ; de l’autre, les politiques de plus en plus restrictives laissent à penser que la réalité est toute autre, qu’il n’y a pas d’immigration « nécessaire » mais que l’immigration est perçue comme une menace et donc que nous nous trouvons face à une immigration non désirée. Ce paradoxe est mis en relief tant dans le cadre politique que dans le cadre citoyen et revêt différentes formes. L’une des plus graves et les plus inquiétantes est l’apparition et la croissance de partis politiques qui ont pour bannière le rejet de l’immigration. La question de l’immigration est fortement politisée et utilisée comme « arme de jet » (Arango à Criado, 2006), ce qui ne fait qu’alimenter l’ambiance de crispation. Cela se répercute directement sur l’atmosphère européenne et provoque des réactions adverses envers les populations immigrées, motif de conflit parmi les citoyens. Cependant, la situation ne se limite pas aux conflits parmi la population. Au niveau législatif, de nouvelles exigences apparaissent pour accéder à la citoyenneté ou à la simple résidence des immigrants. Nous voyons donc que l’Europe entretient en général une relation difficile, incommode et réticente avec l’immigration, et qu’elle rencontre des difficultés à définir des stratégies pour gérer l’arrivée de populations originaires d’autres pays. Des stratégies de relation avec les pays d’origine, mais aussi directement liées aux personnes qui émigrent de leur pays vers des États membres de l’Union Européenne.
Comme l’explique clairement Sami Naïr (2006), l’Europe, surtout ces derniers temps, centre sa politique principalement sur la gestion de la compétence, au détriment de la croissance et du travail. Cela détermine fortement les politiques européennes d’immigration, des politiques guidées par une conception fonctionnaliste de l’immigration, en termes économiques, bien sûr. Cependant, les politiques d’État, sans laisser de côté la perspective mentionnée par la Commission européenne, commencent à gérer l’immigration un peu différemment, car elles doivent affronter des problématiques qui ne sont pas prises en considération à un niveau plus haut. Les États choisissent donc des politiques qui ne tiennent pas seulement compte des besoins de main d’œuvre, mais aussi des questions concernant l’identité, la capacité d’accueil, de cohabitation, etc. Nous observons donc des différences institutionnelles entre les politiques de gestion de l’immigration, y compris au sein d’une même entité. De plus, il faut ajouter que chaque État jouit du principe de subsidiarité pour réaliser la gestion de l’immigration qui lui convient le mieux. Naïr (2006) affirme à ce sujet que les réglementations en vigueur sont plus défensives que préventives. Ces réglementations laisseraient en arrière-plan le point de vue des instances politiques extérieures, pour qui les migrations ne relèveraient pas uniquement du niveau l’État, mais constitueraient un sujet de coopération et de développement allant au-delà de l’idée d’outil d’ajustement du marché du travail national.
LES VOIX
Une fois le contexte actuel défini en termes généraux, je crois qu’il est opportun de parler d’un point de vue plus concret, relatif aux personnes habitant la Zona Ponent et qui ont accepté de me confier leurs récits. J’ai cherché des personnes qui ont quitté l’endroit où elles sont nées pour leur donner la parole à travers des récits de vie. Il s’agissait pour moi de devenir le haut-parleur de leurs expériences, totalement personnelles tout en étant marquées par un contexte commun aux habitants de la Zona Ponent.
J’ai pris pour points de départ différents récits de vie, suivant ma conviction qu’ils constituent un instrument méthodologique d’analyse de la réalité qui permet, à partir de l’individuel, de déboucher sur des questions collectives, d’ordre social. Bien que la méthode biographique permette d’englober de multiples aspects, j’ai voulu me centrer uniquement sur la question migratoire. Le fait de relier les récits de vie au phénomène migratoire permet de découvrir les perspectives des personnes qui voyagent, les questions qui ont influencé leur décision de quitter leur ville d’origine, ainsi que les multiples aspects (familiaux, professionnels, économiques, émotifs et un long et cætera) qui entrent en jeu quand une personne décide de migrer. Parmi cette infinité de variables en mouvement, certaines se situent sur un plan assez intime, personnel, et c’est ici que je souhaite pointer mon regard. Avec ces récits de vie, j’ai voulu mettre en relief certains aspects qui ne peuvent être analysés qu’à partir de la voix de ceux qui vivent ces migrations. Je mets particulièrement l’accent sur la place qu’occupe le fait migratoire dans la globalité d’une histoire de vie, une question intégrée par des constructions tellement subjectives que cela implique une grande complexité dans son analyse.
Ces deux questions aussi entrelacées ont surgi de façon plus ou moins explicite dans les récits de vie. En effet, quand nous expliquons notre vie, nous parlons de nous-mêmes et nous nous construisons comme des sujets individuels mais aussi sociaux, dans la mesure où nous interagissons. En racontant notre propre vie nous nous souvenons, nous regardons vers le passé depuis un présent concret, peut-être même dans une perspective d’avenir. Nous transmettons également notre histoire en énumérant des situations et des expériences communiquées avec des sentiments concrets, et toujours en suivant un scénario qui raconte la vie, en insistant sur certains aspects et en en omettant d’autres. C’est une narration propre à ce moment, dans un espace et un temps concrets, une narration où la construction individuelle interagit avec la construction sociale. Une construction qui n’est ni rigide ni statique, ni semblable à une autre, bien qu’observable, définissable et pleine de significations.
Il est évident que le fait de migrer est lié à une foule de situations données dans un endroit et un temps concrets, et comme je l’ai dit plus haut, c’est un fait qui a existé au cours de toute l’histoire de l’Humanité. Une humanité étroitement liée au désir de vivre bien, ce souhait d’améliorer ses conditions de vie étant le propulseur de toute migration. Des mouvements qui ont été, qui sont et qui seront une activité propre à l’être humain, habituelle et présente dans la vie quotidienne de toutes les cultures. Un souhait qui s’exprime ainsi : « Quand on est jeune, on ne pense à rien d’autre qu’à prospérer un peu dans la vie, non ? Alors j’ai émigré ici en Catalogne » (J.J.B.), ou bien : « Je n’ai pas connu la faim, nous n’avions pas grand-chose, mais… je n’ai pas connu la faim, ni rien de ce genre. En fait je suis très indépendant, pour moi, rester avec mes grands-parents et mes tantes… non merci. Moi je voulais que ma vie soit à moi, point. Alors je suis venu à Barcelone » (A.P.M.).
Un déplacement qui change la vie de qui le réalise, pour en démarrer une autre à l’endroit choisi. Une trajectoire qui suppose un changement d’espace physique où vivre, un changement de personnes, un changement de certaines habitudes et un long et cetera de changements, de réadaptations vitales. C’est dans ce changement que réside l’expérience individuelle du fait migratoire, car seule la personne qui le vit sait ce que cela signifie. Un changement qui peut déterminer, de façon positive ou négative, le début de la nouvelle vie et qui définira, en partie, la place du fait migratoire dans l’histoire de la personne qui migre.
Il est intéressant d’observer l’expérience de ce changement chez les personnes qui l’ont vécu. Toutes les personnes ayant expliqué leur expérience dans leurs récits de vie ont mentionné ce changement comme un moment parmi d’autres de leur histoire. Sans insister particulièrement en comparaison avec d’autres moments racontés, sans en parler comme d’un moment décisif ni comme d’un point d’inflexion dans leurs vies. Malgré tout, il ne faut pas en conclure qu’elles ne le considèrent pas important, mais plutôt qu’elles le vivent comme une décision parmi d’autres, comme un moment parmi d’autres, pas comme l’axe central de l’histoire racontée : « Nous sommes venus parce que j’avais de la famille ici. Nous sommes restés ici parce que nous avions du travail » (F.V.), ou bien « De là-bas je suis arrivé ici. Depuis 2007, l’été 2007. Mon frère m’a envoyé un contrat de travail, il a trois établissements ici » (R.E.). Ces deux citations sont les deux seuls moments où le processus migratoire est expliqué dans la narration pour ces deux personnes. Au-delà de cette explication, elles n’ajoutent rien de plus au cours de tout leur discours en référence aà leur changement de vie. À partir de ces citations, la narration de ces deux personnes (il en va de même avec les autres personnes interrogées) se concentre sur l’explication de leurs conditions de vie à l’endroit de destination, ici la Zona Ponent de Tarragone. Une destination que l’on pourrait considérer comme une destination exclusivement professionnelle, car tout le reste est construit autour et en fonction de cette question. Le travail sur le lieu de destination a clairement été l’élément central de tous les récits analysés, de sorte que le parcours défini par le travail a été le scénario de l’histoire de vie de chacune des personnes interrogées. Par exemple : « À l’époque, et bien… Pepito n’avait qu’à venir et il entrait ici chez Cervi [entreprise de pneumatiques], sur la route de Valence. C’est là que j’ai commencé à travailler et après… j’habitais ici avec ma sœur. À 20 ans je suis devenu ouvrier qualifié ici, chez Cervi » (J.P.N.).
Joan Prat explique que les récits de vie s’accordent souvent à mentionner des faits qui ont engendré des changements cruciaux dans les trajectoires de vie, ou qui ont marqué le reste d’une vie. Ces faits qui apparaissent dans les récits peuvent revêtir un caractère totalement décisif dans la vie d’une personne, mais ils peuvent aussi être mentionnés parce qu’ils ont influencé le parcours d’une vie sans que le fait migratoire devienne le fait central de la vie des personnes interrogées.
Par ailleurs, cette vision est aussi liée à l’absence récurrente de références à l’endroit d’origine des personnes interrogées. Au moment de l’arrivée dans la Zona Ponent de Tarragone, les récits se concentrent sur l’explication de la vie sur ce territoire, tandis que les références au lieu d’origine se font insignifiantes. Le caractère volontaire de la migration pourrait servir à argumenter ce fait. Dans tous les cas étudiés, non seulement la migration a été volontaire bien que parfois conditionnée par le besoin de trouver du travail, mais il faut ajouter à cette prédisposition une évaluation positive de cette décision et de ses conséquences. Le fait d’avoir vécu l’expérience de façon positive permettrait-il de centrer le récit sur le présent, dans le contexte local d’arrivée, celui qui a permis de trouver un emploi, sans que le désir de rentrer au pays ne prédomine ?
Pour terminer, malgré la brièveté de la recherche, l’analyse de ces entretiens permet de découvrir les éléments qui entrent en jeu dans la construction sociale de la migration, sans toutefois opérer de réductions définitives, car il s’agit d’un sujet très complexe. En effet, c’est depuis cette construction sociale que part la vision du fait migratoire, une vision qui s’énonce souvent en termes positifs par les migrants eux-mêmes pour que la distance avec l’autochtone puisse être dépassée. Une vision qui doit être diffusée à l’échelle politique, médiatique et citoyenne. Il est pour cela indispensable de combattre les préjugés existants et d’abolir les pratiques et les discours dégradants qui reproduisent les inégalités. Pour cela, il est évident qu’il faut prendre conscience des véritables dimensions de ce que signifient les sociétés multiculturelles, qui ne sont pas un fait imaginaire mais bien une réalité. Une réalité et de nombreux défis, qui posent la question de l’urgence de réorganiser les instruments légaux nécessaires, et de la même façon, la question de la nécessité de prendre soin de la façon dont nous faisons circuler nos représentations sur les migrants.