A l’heure de la mondialisation, le brassage des populations implique une diversification croissante des références culturelles au sein de nos cités cosmopolites. Ce constat fait craindre une déliquescence des liens sociaux et des repères communs propice au repli identitaire et à la montée de la xénophobie.
A cet égard, l’actualité politique récente en Europe nous soumet des questions troublantes que nous ne pouvons pas ignorer.
Face aux discours réactionnaires et stigmatisants, les acteurs de la société civile peuvent mener des actions à leur niveau, aussi modestes soient-t’elles. C’est dans cette perspective que nous avons organisé trois séries de résidences réunissant des artistes et des chercheurs espagnols, français et roumains au coeur de trois quartiers populaires en Europe. Parce que les migrations intérieures et internationales ont façonné leur histoire et les mémoires de leurs habitants, ces territoires nous paraissaient emblématiques des défis qui se posent aujourd’hui aux Etats européens.
De septembre 2010 à juillet 2011, notre équipe a travaillé aux côtés de personnes vivant ou travaillant à Rennes, Cluj-Napoca et Tarragona en vue de réaliser un ouvrage, un film documentaire et un site Internet sur les migrations et les conditions de développement d’un dialogue interculturel en Europe. Dans chaque ville, 4 artistes et 2 chercheurs se sont installés pendant un mois dans un appartement dédié au projet et partent à la rencontre qui vivent sur ce territoire en vue de mobiliser chez chacune d’elles une matière intime et sensible constituée d’histoires de vie, de rêves, de doutes ou d’opinions politiques sur les migrations en Europe. Nos objectifs consistaient à faire en sorte que chaque participant s’exprime sur ses valeurs et le sens qu’il donne à sa vie, puis à organiser la confrontation de ces valeurs. Chaque récit a été matérialisé sous la forme d’une « Correspondance » qui a été adressée à un destinataire (élus, voisins, inconnus…). En acceptant de se prêter au jeu de la Correspondance, chaque personne a choisi de transmettre ses valeurs à travers un récit qui a été rendu public. Des rencontres et des débats sont organisés depuis juin 2011 autour de ces productions en vue d’alimenter à l’échelle communautaire les travaux des chercheurs et les réflexions des citoyens et des décideurs publics.
Qu’est-ce qu’une correspondance citoyenne ?
Elle est avant tout le fruit d’une rencontre avant tout humaine entre deux personnes, un objet qui matérialise le regard que porte sur notre société le binôme artiste-personne du quartier. Il peut prendre les formes suivantes : édition (carte postale, carnet, livret, flipbook…), CD sonore, film, peinture, etc. Il est signé par ses expéditeurs, s’adresse à un destinataire (une troisième personne, un élu, un voisin, etc.) et invite ce destinataire à répondre. Chaque « Correspondance » combine sens et sensibilité. Les chercheurs contribuent à ces échanges en invitant les protagonistes à approfondir un thème ou explorer une nouvelle question.
Habiter un quartier et rencontrer l’autre
L’originalité de la démarche repose, d’une part, sur un renversement du schéma classique des projets artistiques « participatifs ». Il s’agit ici de nous intéresser à chaque personne avant d’essayer de l’intéresser elle à notre propre travail. L’artiste en résidence est à l’initiative d’une rencontre avant tout humaine avec des inconnu(e)s vivant dans le quartier, il expérimente des façons «d’entrer en relation» et «d’instaurer une confiance», puis avance avec chacun vers la réalisation de «Correspondances».
D’autre part la coopération de chercheurs et d’artistes pendant les résidences permet aux uns d’accéder selon leurs besoins aux compétences et aux outils des autres, et vice-versa. En parallèle, nous nous efforçons de maintenir une égalité des positions symboliques entre les personnes du quartier, les artistes, les éducateurs et les chercheurs, afin d’éviter que la parole de l’un ne vienne effacer ou ré-interpréter la parole de l’autre.
Trois axes de travail possibles pour les chercheurs associés au projet
1/ Un apport de connaissances sur les thèmes des migrations, des discriminations, de l’altérité, du plurilinguisme et de la ségrégation dans l’espace urbain.
2/ Un travail de recherche enrichi par la possibilité d’accéder à une matière première «sensible» grâce à l’entremise de l’artiste auprès des participants au projet.
3/ Une participation aux échanges avec les habitants et les artistes en vue de contribuer à la réalisation des «Correspondances citoyennes».
Calendrier
27 septembre – 17 octobre 2010 : un vidéaste (ESP), un peintre-architecte (ESP) et deux photographes (ROU) à Rennes.
22 novembre – 12 décembre 2010 : une comédienne (FR), une graphiste (FR) et deux photographes (ROU) à Tarragona.
10 janvier – 30 janvier 2011 : un vidéaste (ESP), un peintre-architecte (ESP), une comédienne (FR) et un plasticien (FR) à Cluj.
A partir d’avril 2011 : Restitution et valorisation des travaux avec nos partenaires locaux et européens.